Régis Sénèque un peu de temps, de matière et de silence #1
Exposition du 28 janvier au 16 février 2013
6bis cité de l'ameublement - Paris 11e
du mercredi au samedi de 14h à 19h00 et sur rendez-vous
texte de Étienne Helmer
performances de Stéphanie d'Amiens d'Hébécourt "lâcher d'ourse" (sur une proposition de Jean-Michel Marchais) et Martin Mc Nulty jeudi 14 février à 19h30
l'exposition fait l'objet d'un #2 au centre d'art contemporain d'Orléans "le pays où le ciel est toujours bleu"
"mon intérieur, cet espace commun - matière à toucher #2" performance de Régis Sénèque présentée dans la galerie le 12 mai 2012 lors de l'exposition bits and pieces from the wonderful world of Martin Mc Nulty (film de Jean-Michel Yoyotte)
Régis Sénèque
un peu de temps, de matière et de silence #1
À la différence des objets, nous ne sommes pas simplement dans le monde mais au monde, insérés
dans des réseaux de relations tissées avec nos semblables ou les autres vivants mais aussi, et d’abord,
avec notre environnement dans sa matérialité la plus brute. L’expérience que nous en avons est
indissociable de celle que nous faisons de nous-mêmes, en particulier de notre corps, immédiatement
confronté au monde dans ce qu’il a de plus concret. Comment alors tracer une limite claire entre ce qui
relève du corps et de soi d’un côté, et ce qui relève du monde lui-même de l’autre ? Comment faire
la part des choses sans nier ce que chaque pôle, artificiellement distingué peut-être, apporte à l’autre,
façonne de l’autre ?
L’exposition « un peu de temps, de matière et de silence #1 » présente une articulation possible de ces
éléments, à travers l’expérience singulière, et par là universelle, que Régis Sénèque en a.
« Un peu de temps, de matière et de silence #1 » : de quoi est-ce la formule ? Ces trois termes désignent peut-être pour l’artiste les éléments fondamentaux de toute chose, découverts à l’issue d’une analyse. Mais sans doute faut-il les entendre aussi comme des coordonnées, des repères formant l’armature du rapport qui nous lie au monde. Je suis là, semble dire Régis Sénèque, mais ma présence se constate moins qu’elle ne s’apprécie à travers les combinaisons variables de ces critères, qui donnent forme aux différents travaux présentés dans l’exposition.
Un peu de temps ? S’orienter, se déplacer, changer de posture, refaire des tentatives, des essais : notre expérience se déploie dans le temps, non pas seulement, bien sûr, parce qu’elle s’inscrit nécessairement dans l’écoulement temporel, mais parce qu’elle lui donne forme, qu’elle en fait un rythme, une durée vécue, à l’image de ces pliages multiples du linoleum qui, dans la différence et la répétition, scandent un processus, un devenir sans finalité extérieure à lui-même.
Un peu de matière ? Elle a ici ses degrés, ses nuances, de la brutalité latente du parpaing à la finesse de la toile de verre peinte, de la dureté du minéral à la plasticité de la chair. Entre les deux, il y a place pour les combinaisons, notre expérience n’étant jamais celle de la matière brute et pure, mais toujours celle de sa mise en forme dans des mélanges variés, parfois inattendus, qui la révèlent autant qu’ils révèlent ce dont elle est le support. Par là, c’est aussi le toucher et le sens du relief qui prennent leurs marques, faisant des images ici présentées – photographies et dessins – de véritables sculptures, comme le corps tend lui aussi à en devenir une.
Du silence, enfin. Mais quel silence ? Il ne s’agit pas de l’absence de bruit des espaces vides mais plutôt du silence qui accompagne la plénitude d’un dépouillement, d’un essentiel atteint, et que font résonner ici, loin du bruit des couleurs, les grisailles et le blanc, formes graphiques du silence, et ce corps anonyme, sans visage et muet, dont nous ne savons rien.
Les rapports qu’entretiennent ces trois termes sont dynamiques, chacun renvoie à l’autre, aucun n’épuise à lui seul l’expérience que l’artiste a du monde. On comprend alors pourquoi les contraires se rejoignent ici sans se confondre, dans une sorte de tension qui fait tenir le tout ensemble : l’intérieur et l’extérieur, le minéral et l’organique, la matière brute et sa mise en forme, la nature et la ville, la mise à jour et la dissimulation, le vertical et l’horizontal, le debout et le couché, le nu et le couvert, la dispersion et l’unité, la vie et la mort enfin, avec le gisant de parpaings au centre de l’espace. L’artiste, ou plutôt sa présence et son geste, se trouvent dans le lien permanent qui unit et sépare ces extrêmes. Impossible de s’arrêter à l’un des deux, toujours l’autre se manifeste, que ce soit dans la même œuvre ou dans une autre. Ce jeu de renvois invite à conclure que la transparence, à soi-même comme aux autres est impossible, illusoire : nous sommes dans le lien, qu’il faut articuler pour en saisir quelque chose. La pièce centrale résume cette démarche : elle ne signale pas une abolition ou une fusion sans retour du corps dans les parpaings, mais son possible devenir-matière, dans un certain temps et un certain silence.
Étienne Helmer, 2013